Au pied de la cathedrale de Strabourg, les fouilles de l'INRAP en cours sur la place du Chateau ont de nouveau mis au jour des vestiges du camp de légionnaires romains d'Argentorate: il s'agit de fragments de peintures romaines issues qui ornaient l'un des bâtiments du camp.

Situé en plein centre de Strasbourg, les différents aménagements urbains depuis le début du XX ème siècle ont permis d'ouvrir des "fenêtres" archéologiques sur ce camp légionnaire ; des découvertes récentes ( années 1990 et surtout 2008) ont permis de consolider nos connaissances sur ce camp légionnaire qui hébergeait près de 6000 légionnaires, auxquels pouvaient s'ajouter valets d'armes, artisans, chevaux, mules, boeufs...
A l'exterieur du camp, le long de la voie principale, se développa un vilage de civils constitués au début de maisons de bois et torchis (Canabae Legionensis), où venaient s'installer artisans, commerçants , mais aussi les compagnes de légionnaires, des prostituées, des aubergistes ...attirés par ce nouveau centre de vie économique et le pouvoir d'achats des légionnaires . C'est ainsi que naquit la ville de Strasbourg au bord du Rhin.
Carte du camp de la légion VIII Augusta d'Argentorate, et localisation des principales découvertes archéologiques (établi sous Geoportail- orthophoplan IGN) .
Les fresques de logements d'officiers découvertes en septembre 2012
En septembre 2012, au fond d'une profonde tranchée, les archéologues ont découvert un vestige rare et fragile : un morceau de mur en adobe (briques de terre crue séchées à l’air) de 1,10 par 0,70 mètre enduit et peint des deux côtés. Les archéologues ont prélevé les quelques millimètres de chacune des deux couches d’enduit peint. Il s'agit donc de vestige d'une cloison intérieure.
Une des peintures représente des colonnes et un panneau encadrant un personnage debout. L’autre se compose d’une belle guirlande rouge dotée d’un nœud vert . Associé à ces fresques, six lignes d’inscriptions latines sont présentes sur les dessins (voir ci dessous).
Une des fresques romaines découvertes à Strasbourg réprésentant un personnage féminin sur la droite au moment de sa decouverte (photo© Heidi Cicutta -Inrap)
D’après les Bernadette Schnitzler, conservatrice du musée archéologique de la ville de Strasbourg, ces fresques du 4 e et dernier style pompéien dateraient du II e siècle de notre ère. Ces fresques ont été réalisées par les peintres professionnels. Dans le palais Rohan, situé au bout de la place, B. Schnitzler présente justement une exposition intitulée « peintures murales romaines en Alsace ».
Par opposition aux baraquements légionnaires dont le confort était plutot spartiate, ces riches fresques ornaient un logement d'officier, soit les appartements personnels de l’un des six tribuns de la huitième légion, soit le logement d’un des centurions. Ces derniers étaient placés au bout des baraquements où les légionnaires de leur centurie logaient par chambrées de huit (contubernium).
Reconstitution de la riche tenue du centurion primipile de la legion VIII Augusta (petit clin d'oeil à mon ami René Cubaynes, président de l'association "Legion VIII Augusta")
Sur une superficie de 50 m2 les archéologues ont pu dégager deux pièces et un portique débouchant sur un espace ouvert. Ils font partie d'un bâtiment construit en terre et en bois à la fin du Ier siècle de notre ère correspondant à une partie du logement d'officier.
Un canal voûté souterrain est aménagé durant cette période sous l'espace ouvert. Large de 42 cm et haut de 1,20m, cet ouvrage étanche servait certainement à l'évacuation des eaux usées et constitue, à ce jour, le premier tronçon du système d'assainissement du camp romain de la legion VII Augusta d'Artgentorate découvert in situ.
Les fresques , une fois restaurées, devraient rejoindre le musée archéologique de Strasbourg,qui présente déjà au public de nombreux vestiges du camp et du canabae legionensis de la legion VIII Augusta.
La même fresque après restauration par le Musée Archéologique de Strasbourg
Une des inscription latine au pied du personnage
Deux graffitis accompagnent ce personnage : Demetrius […] usso et Cassio [salve] te bibet, pourrait être traduit par « Démétrios boira » ou « trinquera sainement à toi avec […]ussus et Cassius ». À cette formule répond la deuxième inscription : Demetrius filosopus et caldas (aquas) ol(l)a bibet, qui peut être traduite par « Démétrios le philosophe boira même le bouillon à la marmite », façon sans doute de trinquer sainement. Inscrits par deux mains différentes, les graffitis fonctionneraient comme une réponse du second au premier, ou comme une surenchère. Le peintre n’a peut-être pas voulu figurer le philosophe Démétrios, mais cette représentation inspira ce nom aux deux spectateurs.
S’agirait-il de Démétrios de Phalère ? Ce chef d’État athénien du IVe siècle avant notre ère, éloquent orateur, mourut d’une morsure de serpent lors de son exil en Égypte. Le choix du thème iconographique, le personnage et les inscriptions indiquent en tout cas que le propriétaire des lieux, probalement un officier supérieur de la légion, appartenait à une classe sociale élevée et cultivée.
Les baraquements légionnaires découverts en 2008
En 2008, lors des fouilles au 4 rue de la rue brulée, (voir carte ci-dessus), l'INRAP avait déjà mis au jour des baraquements de légionnaires d'une surface de plus de 220 m² et d'une quinzaine de pièces. La présence de nombreuses pièces de harnachements laisse à penser que le batiment hébergeait cavaliers ou ateliers associés.
Reconstitution des baraquements légionnaire de long de la Via Singulairis bordant les remparts ( Dessin ©C. Gaston, Inrap)
Reconstitution de détail du barraquement légionnaire découvert en 2008, 4rue de la maison brulée (dessins ©C. Gaston, Inrap)
Quelques vestiges de la vie quotidienne de légionnaires découverts lors de ces fouilles :
Dé romain :durant leur rare temps libre, les jeux de dés et les thermes faisaient partie des loisirs préférés des légionnaires (photo © François Schneikert , Inrap)
Boulets de pierre armant les ballistes (photo©François Schneikert, Inrap)
Pour en savoir plus :
- Voir la video du chantier 2012 de l'INRAP (© Inrap - Tournez S'il Vous Plaît - 2012)
- Voir video sur le camp légionnaire d'Argentorate :
- Catalogue de l'exposition de 2010 '" Strasbourg-Argentorate, un camp légionaire sur le Rhin du Ier au IV eme siècle apres JC) : pour le commander sur Amazon, cliquez ici.
-article intégral en ligne sur le canabae legionensis de Strasbourg : les habitats gallo-romains en terre et en bois de la rue des mesanges à Strasbourg (RAE 2006) : cliquez ici.